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Ce blog n'est pas un livre construit mais un ensemble de touches d'émotions ou de réflexions nées de quelques années de parcours professionnel et amical dans trois pays du Sud essentiellement : Haïti, Congo RDC et le Sénégal. Vos commentaires sont bienvenus autour de ces textes sans prétention. Juste un partage pour aussi faire découvrir de belles histoires au Sud et des moins drôles. Et n'oubliez pas de cliquer sur "plus d'infos" pour voir la suite de chaque billet !

samedi 11 juin 2011

JEUNES EN QUENOUILLE (article rédigé en 2006 et réactualisé)


2006 : Parlons des jeunes hommes. Je rentre de Meckhe, au nord de Thiès au Sénégal, ce vendredi 22 juin. Là-bas, il y avait de la tristesse dans l’air : plusieurs jeunes ont quitté la région et n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis plusieurs semaines. Tous mes amis paysans pensent à ces embarquements vers la mort qui partent en direction des Canaries. Sûr que des jeunes de Meckhe ne donneront jamais de leurs nouvelles. La mer est dangereuse.
Batch nous dit, avec tristesse car son organisation de producteurs essaie de stabiliser les jeunes dans la région avec des financements et de la création d’emplois, de l’accompagnement des exploitations familiales, que des crieurs viennent faire campagne dans les villages pour que ceux-ci partent en émigration. Ces racoleurs annoncent les prix, très officiellement : 500 000 FCFA pour partir en pirogue vers les Canaries, 300 000 FCFA par la terre via Agadir.
On dit beaucoup dans la presse sénégalaise que ce sont les jeunes pêcheurs qui partent. C’est probablement vrai. Il n’empêche que les jeunes ruraux des régions de l’intérieur cherchent eux aussi à fuir, généralement vers Touba (la capitale des Mourides, principale confrérie musulmane du Sénégal) ou vers Dakar. Mais une quantité importante de jeunes a pris l’habitude de partir vers la petite côte (Joal, Mbour) car autour du poisson se développaient plein de métiers annexes. Aujourd’hui, du fait de la diminution de la ressource halieutique, la zone de pêche devient une zone de chômage grandissant. L’itinéraire des jeunes des zones rurales est donc le suivant pour nombre d’entre eux : recherche d’emploi sur la petite côte puis embarquement vers l’enfer (si le bateau coule) ou vers le paradis (si on arrive aux Canaries à passer au travers des mailles du contrôle de l’immigration. Pour l’heure 11 000 Africains sont parqués aux Canaries.
Qui aurait crû il y a quelques années que le Sénégal connaîtrait comme le Vietnam, le Cambodge, l’Albanie ou Haïti des boat people ? Certains membres de la communauté internationale minimisent, disant que l’immigration a toujours existé en masse. Mais depuis que la communauté internationale aide le Maroc à fermer ses frontières, alors le bateau devient la solution… et il est plus visible que ces jeunes qui se joignent aux caravanes pour traverser le désert.
En Afrique, la question des jeunes n’est pas une priorité. La priorité est de remporter les élections. Il n’y a pas de politique agricole, de politique des jeunes, de politique de l’emploi. L’opportunisme est le cœur des stratégies politiques. Pourtant les jeunes représentent plus de 60% de la population. On fabrique des programmes de lutte contre la pauvreté inefficaces. On oublie que les pauvres sont d’abord les ruraux et que les jeunes de la ville comme ceux de la campagne ne peuvent plus accepter la situation qui leur est offerte. C’est la principale leçon de la descente aux enfers de Haïti. Une amie agronome, très impliquée sur la question des droits de l’homme, disait à propos de l’insécurité : « 30% des délinquants agresseurs ont moins de 15 ans, 30% ont entre 15 et 28 ans. Le reste des délinquants à moins de 25 ans. On ne peut pas les tuer ou les mettre tous en prison. Il faut créer de l’emploi ». Il y a du bon sens dans cette proposition. Mais qui rebondira ?
Troupe de rara aux Palmes (Haïti, 2010) : la musique, seul refuge des jeunes ?  

Et puis, en 2011, sont venues ce qu’on appelle les révolutions arabes. Nul doute que ces révolutions sont d’abord une révolte des jeunes. Dans tous les pays du Sud les jeunes sont malmenés, qu’ils aient ou non des diplômes. L’emploi est rare en ville et les ruraux ne trouvent pas les financements pour mettre en valeur leurs terres. Alors on trouve une sociologue rwandaise qui reste standardiste malgré sa licence, des professeurs de mathématiques haïtiens chauffeurs de taxi à Miami sans compter tous ces jeunes sans diplômes qui forment le lumpen prolétariat des quartiers insalubres des grandes villes.

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