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jeudi 5 juin 2014

JARDINS, ECOLOGIE, ENVIRONNEMENT... un texte à lire, relire, déguster.

J'emprunte ce texte. J'espère que je respecte tous les droits. L'auteur est Gilles Clément, professeur invité sur la chaire annuelle de Création artistique pour l'année académique 2011-2012 au Collége de France.

Hymne au jardinier, à l'écologie, nouvelle relation avec le vivant...

Source : Cléo/OpenEdition, Unité mixte de services 3287, CNRS, EHESS, Université de Provence, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 3, place Victor Hugo, Case n° 86, 13331 Marseille Cedex 3, France

Juste quelques phrases pour vous mettre en appétit, tirées de ce texte :
"Le paysagiste règle l’esthétique changeante du jardin (ou du paysage) ; le jardinier interprète au quotidien les inventions de la vie, c’est un magicien".
"Au jardin, il suffit d’être et cela demande un silence. Le silence dont je parle ne concerne pas l’espace de l’enclos – par nature soumis au discret vacarme des animaux – mais celui qu’il faut aller puiser au dedans de soi-même en se débarrassant un à un des encombrants savoirs, comme on le fait de vêtements inutiles. La présence au jardin suppose l’esprit nu et le corps exposé. Il est alors possible de risquer le rêve".
"Le jardin autorise le désarmement ; quiconque pénètre le jardin bardé de certitudes se trompe de porte, car même si le jardin est « botanique », hérissé d’étiquettes savantes, ce n’est pas la science qu’il nous demande d’apprécier avec dévotion, mais l’incroyable projet de nous livrer les clefs du vivant grâce à l’approche scientifique, immédiatement conjurée par l’éclat des pétales de fleurs, le vol d’un bourdon, le pèlerinage des fourmis, le cri pleuré du pic noir et tout à coup cette lumière sur l’herbe rousse de l’été qui rejette dans l’ombre un sous-bois inconnu, donc nouveau".

Ce texte ne se lit pas à la manière du zappeur, du boulimique d'Internet qui veut tout voir sans rien entendre ni écouter. Il porte sur les fondamentaux de notre planète et invite au changement de paradigme.
Bonne lecture
Bernard


BILLET INVITE

Jardins, paysage et génie naturel

Leçon inaugurale prononcée le jeudi 1er décembre 2011 au collège de France, Gilles Clément.

Parler du jardin ou du paysage dans le cadre du Collège de France, c’est envisager le jardin et le paysage comme un ensemble susceptible d’être enseigné sous la forme de cours. De mon point de vue, le jardin ne s’enseigne pas, il est l’enseignant. Je tiens ce que je sais du temps passé à la pratique et à l’observation du jardin. J’y ajoute les voyages, c’est-à-dire la mise en comparaison des lieux que l’homme habite et dans lesquels il construit à chaque fois un rapport au monde, une cosmologie, un jardin. J’y ajoute encore les rencontres, la diversité des pensées, la surprise, l’ébranlement des certitudes. Ces pratiques de terrain auxquelles je dois tout s’appuient néanmoins sur un alphabet du savoir, ce à quoi chacun de nous devrait avoir accès et que, précisément, on appelle des cours, nécessaires pour accéder à l’expérience.

Aussi me suis-je demandé comment on pouvait dispenser un savoir presque tout entier issu de la confrontation avec le terrain sous une autre forme que celle de l’atelier. L’atelier : un assemblage d’énergies croisées où les enseignants, « enseignés » par les étudiants et par le terrain lui-même, se contentent de réajuster les trajectoires de la puissance créative pour renforcer la cohérence et la clarté de la pensée. Aussi je remercie le Collège de France, et plus particulièrement Philippe Descola, de m’avoir invité à un exercice nouveau : faire passer le champ de nos hésitations à ceux qui, venus en étudiants, pourraient, à la fin, se découvrir jardiniers.3
4
Je parle de jardiniers et non de paysagistes, ou de techniciens de l’environnement, bien que les fonctions correspondant à ces profils soient liées entre elles. En composant le jardin, le jardinier crée un paysage ; en l’accompagnant dans le temps, il fait appel aux techniques de maintenance horticoles et environnementales. Il couvre le champ de la complexité des fonctions assumées séparément par le paysagiste et le technicien, mais avant tout il s’occupe du vivant. Cette charge singulière le démarque de tous les acteurs de l’espace public : les architectes, les urbanistes, les artistes, les aménageurs divers et, bien sûr, les paysagistes. S’il n’est pas nécessaire de faire appel au vivant pour construire un paysage, il est impensable de s’en passer dans un jardin. Pour cette raison, j’utiliserai plus souvent le terme de jardinier que celui de paysagiste. Cela se comprend ainsi : le paysagiste règle l’esthétique changeante du jardin (ou du paysage) ; le jardinier interprète au quotidien les inventions de la vie, c’est un magicien.
L’un et l’autre se complètent, mais pour des raisons historiques récentes qui bouleversent le rapport de l’humanité à son habitat, on ne peut concevoir le rôle du paysagiste cantonné à la seule construction formelle ou fonctionnelle de l’espace en faisant abstraction de la dimension biologique, à moins d’en faire un simple designer, ce qu’il n’est pas.
Jardinpaysageenvironnement : trois termes du langage commun qui demandent précision.

Paysage, selon moi, désigne ce qui se trouve sous l’étendue de notre regard. Pour les non-voyants, il s’agit de ce qui se trouve sous l’étendue de tous les autres sens. À la question : « qu’est-ce que le paysage ? », nous pouvons répondre : ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé de regarder ; ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé d’exercer nos sens au sein d’un espace investi par le corps. Il n’y a pas d’échelle au paysage, il peut se présenter dans l’immense ou dans le minuscule, il se prête à toutes les matières – vivantes ou inertes –, à tous les lieux, illimités ou privés d’horizon : nous pouvons parler de paysage ici-même, au sein du Collège de France, dans cette salle pourvue de formes, de lumières, de relief et de sol en parterre tapissé d’humains…

S’agissant d’un ressenti (et de sa transcription, par exemple dans un tableau : les premiers paysagistes sont des peintres et non des aménageurs), le paysage apparaît comme essentiellement subjectif. Il est lu à travers un filtre puissant composé d’un vécu personnel et d’une armure culturelle. La Beauce, interprétée comme un vide monotone en France, apparaîtra comme une étendue admirable à un Japonais dont le pays ne bénéficie nullement d’un tel espace.

Ces constats font du paysage un objet irréductible à une définition universelle. En théorie, il y a donc autant de paysages, à propos d’un site, qu’il y a d’individus pour l’interpréter. Il existe, en réalité, des situations de partage lorsque la beauté dramatique ou sereine d’un paysage touche de façon égale un groupe assemblé dans le même instant et sous la même lumière au devant du même spectacle, à la condition que ce groupe partage les mêmes clefs de lecture, la même culture. Mais nul ne saura quelle émotion intime anime chaque individu de ce même groupe. Telle est la face irrémédiablement cachée du paysage.

Environnement est le juste opposé de paysage en ce qu’il tente de livrer une lecture objective de ce qui nous entoure. Il est aussi le versant partageable du paysage : une lecture scientifique fournie par les instruments d’analyse que chacun, quelle que soit sa culture, peut entendre et apprécier de façon comparable. Ainsi mesure-t-on l’acidité ou la basicité d’un sol (le pH) de la même façon en Europe, en Asie ou en Afrique, avec les mêmes outils et le même langage de restitution. La valeur sonore d’un site, l’émission de radiation d’une roche, la charge en oxyde de carbone de l’atmosphère, le taux de pollution d’un cours d’eau, etc. s’apprécient de façon comparable et stricte partout sur la planète, ce qui donne lieu à un « espéranto technique » pour une lecture scientifique du milieu dans lequel nous vivons.

Le mot environnement, emprunté à l’anglais sans effort de traduction, désigne un ensemble difficilement saisissable composé d’une multitude de paramètres fluctuants qui tous ont à voir avec le vivant. Les données environnementales d’un site autorisent ou n’autorisent pas l’expression de la vie, favorisent ou ne favorisent pas l’expression de la biodiversité.

1. La phusis. « Nature » mais surtout base de la réflexion philosophique des Grecs d’Asie mineure. La(...)
2. Par les accords de Nagoya, conclus en octobre 2010 au Japon, plus de 190 pays, à l’exception des Ét (...)

Cet ensemble insaisissable, que d’autres appellent nature, se présente ici sous l’aspect rude et lisse d’un compte où les facteurs agissants, débarrassés de toute expression sensible, se traduisent en débits ou en crédits, ce qui autorise au calcul, au placement, à la spéculation. L’environnement apparaît ainsi comme la réduction comptable et apparemment maîtrisable d’une complexité biologique difficile à comprendre et à maîtriser. Alors que la vie ne cesse d’inventer et d’enchaîner l’imprévisible au prévisible, les données environnementalescalibrées et estimées permettent ce que les données naturelles1 jamais ne permettaient : la marchandisation du vivant. Les accords de Nagoya, au sujet desquels les médias sont restés très discrets, expriment bien cette réalité de l’économie face à la nature, donc au jardin2.

Terme curieusement choisi pour désigner l’ensemble vivant complexe dans lequel nous évoluons, environnement se rapporte aux environs : ce qui se trouve à distance de nous. La langue espagnole propose medio-ambiante, le « milieu ambiant », et par-là suggère un état d’immersion plutôt qu’une mise à distance. Alors qu’environnement nous désolidarise du « vivant alentour », milieu ambiant nous rend solidaire de celui-ci en incluant d’emblée le genre humain dans un écosystème planétaire. S’il est possible de placer les composantes de l’environnement sur le marché, il semble difficile de procéder de la même façon pour le milieu ambiant, à moins d’envisager l’humanité elle-même comme une marchandise.

Ces deux termes destinés à nous livrer la nature selon la lecture la plus scientifique et la plus objective possible aboutissent, on le voit, à deux attitudes distinctes, à deux regards sur la vie, à deux façons d’appréhender l’écologie ; nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais on peut, en passant, vérifier que les mots, censés véhiculer des notions partagées à l’échelle planétaire, traduisent en réalité différentes façons de voir le monde. Et de ce point de vue, il est intéressant de poser métaphoriquement la question : quelle langue voulons-nous parler ? Celle d’une suprématie sur le vivant ou celle d’une égalité avec lui ?

3 Le mot jardin vient du germanique garten qui signifie « enclos ».Le motparadis, du latinparadisus(...)

Le jardin échappe aux divisions culturelles. Jardin ne se réfère à l’environnement que pour y établir les règles heureuses du jardinage, et au paysage pour les seules raisons qu’il ne cesse d’en créer. Le jardin, partout dans le monde, signifie à la fois l’enclos et le paradis3.

L’enclos protège. Au sein de l’enclos se trouve le « meilleur » : ce que l’on estime être le plus précieux, le plus beau, le plus utile et le plus équilibrant. L’idée du meilleur change avec les temps de l’Histoire. L’architecture du jardin traduisant cette idée change en conséquence. Il s’agit non seulement d’organiser la nature selon une scénographie de l’apaisement mais encore d’y exprimer une pensée aboutie de l’époque à laquelle on vit, un rapport au monde, une vision politique. Quelle que soit la figure stylistique et l’architecture qui en découle au fil du temps, le jardin apparaît comme le seul et unique territoire de rencontre de l’homme avec la nature où le rêve est autorisé.

On ne dira pas qu’en dehors de l’enclos se situe le pire (par opposition au meilleur) mais on y trouve le sauvage inconnu donc l’inquiétude, la ville à la fois oppressante et commode, le territoire des rencontres inattendues et des échanges nécessaires, le mélange des devoirs et des interdits, la panoplie des règles, des obligations et des rapports domestiques où les triviales questions de survie vident l’espace public de sa poésie pour le présenter en un lieu d’esquives et d’affrontements. Hors du jardin, on demande à la société humaine de suspendre un rêve pour défendre une position sociale, ou simplement pour exister. À l’intérieur du jardin, le harcèlement existentiel s’évanouit, il n’est plus question de savoir où se diriger et selon quel ordre de bienséance orienter ses gestes ou son regard, il n’est pas question de mode d’ajustement à une prétendue modernité ; inutile d’épater les oiseaux par une quelconque performance dans un esprit managérial de compétitivité ; au jardin, il suffit d’être et cela demande un silence.

Le silence dont je parle ne concerne pas l’espace de l’enclos – par nature soumis au discret vacarme des animaux – mais celui qu’il faut aller puiser au dedans de soi-même en se débarrassant un à un des encombrants savoirs, comme on le fait de vêtements inutiles. La présence au jardin suppose l’esprit nu et le corps exposé. Il est alors possible de risquer le rêve.

Le jardin autorise le désarmement ; quiconque pénètre le jardin bardé de certitudes se trompe de porte, car même si le jardin est « botanique », hérissé d’étiquettes savantes, ce n’est pas la science qu’il nous demande d’apprécier avec dévotion, mais l’incroyable projet de nous livrer les clefs du vivant grâce à l’approche scientifique, immédiatement conjurée par l’éclat des pétales de fleurs, le vol d’un bourdon, le pèlerinage des fourmis, le cri pleuré du pic noir et tout à coup cette lumière sur l’herbe rousse de l’été qui rejette dans l’ombre un sous-bois inconnu, donc nouveau.

Où se place exactement le mystère ? Dans cet éclairage décalé qui transforme un objet familier en une apparition ou dans le pouvoir inventif de la vie – propre au jardin et à son foisonnement – obligeant chaque jour le jardinier à changer son angle de vue ? Avant de comprendre, soyons assuré de notre étonnement. Dans cette phase fragile de la surprise au jardin – l’esprit nu et le corps exposé – nous mettons à l’épreuve le regard de l’enfant du temps de sa liberté, avant qu’il n’apprenne par cœur ou par force la litanie des règles de vie. Dans ce voyage aventureux, le panneau « Pelouse interdite » nous ferait rire ou nous ferait douter d’être entré dans un véritable jardin, à moins qu’il ne soit posé là simplement pour nous étonner.

Nous ne savons pas en quoi précisément consiste le « meilleur » puisqu’il varie avec le temps. Ce que l’on maintenait autrefois hors de l’enclos – le sauvage, la mauvaise herbe – pénètre aujourd’hui le jardin. Il peut même en être le sujet principal. Nous pouvons nous demander ce qui a si brutalement changé dans l’histoire de l’humanité pour qu’une valeur décriée devienne un trésor apprécié. Quelle est donc cette herbe qui nous dicte sa loi ?
4 Le concept d’écologie, proposé par le biologiste libre-penseur allemand Ernst Haeckel, apparaît off(...)

Le jardin est une fabrique de paysage, nous l’avons dit, il se prête aux jeux de l’environnement nous le savons, mais en contenant le rêve, il porte un projet de société. Tout au long de son évolution – architecturale, stylistique – il ne cesse de refléter une vision du monde en s’approchant le plus possible d’un idéal de vie. Mais au cours des dernières décennies, le jardin circonscrit à l’espace du jardinier – l’hortus conclusus – change brusquement de statut, il sort de l’enclos. Un apport sociétal considérable, dès la première moitié du xxe siècle, modifie non seulement l’idée du meilleur au sein de l’enclos, mais il bouleverse l’enclos lui-même au point de le faire disparaître. L’écologie est née4.

En soi l’écologie constitue un avènement.

Destinée à situer les êtres vivants dans leur habitat et à les comprendre au travers des relations qui les lient les uns aux autres, cette science est avant tout un choc culturel, un constat par lequel l’ensemble des êtres vivants se trouvent enchaînés dans un système complexe incluant l’humanité, l’air, l’eau, les roches et l’invisible champ des énergies, chaque élément ayant une incidence sur tous les autres dans un espace fini : la planète.

L’analyse écologique nous amène à situer l’homme en position d’équivalence biologique avec les autres êtres de nature, c’est-à-dire en position d’égalité quant à la dépendance face à l’écosystème planétaire, quelle que soit l’apparente supériorité de l’emprise humaine sur le territoire. Contrairement à ce que véhiculent les mythes et les croyances, le voici en situation d’immersion et non de dominance. Il n’est plus l’être par qui tout se règle et s’organise, il n’est plus celui vers qui tout converge, le voici en relation directe avec les composants de l’univers terrestre, vivant au jour le jour les contrecoups de ses propres actions. Il ne lui est plus possible d’attribuer les grands changements aux seules forces naturelles et surnaturelles, il doit admettre sa part active dans les réajustements biologiques de la planète. Depuis la fin du xixe siècle, nous sommes entrés dans l’ère anthropocène, écrit Claude Lorius5 : l’humanité imprime son action à l’échelle du globe avec une puissance comparable aux puissances géologiques mais à une vitesse bien plus grande. Nous sommes loin des positions avantageuses où l’humanité perchée sur un piédestal regarde l’environnement avec calcul et condescendance ; la voici nageant dans le bain commun de la planète, une eau partagée, bue, transpirée, digérée, évaporée et redistribuée maintes et maintes fois au cours des temps, toujours la même sous des formes toujours nouvelles mais en quantité comptée ; tel est le milieu ambiant.

Avec le constat de finitude écologique, les sociétés humaines se trouvent contraintes de réajuster leur processus de développement, leurs techniques d’exploitation et leur système de recyclage. De tous les enseignements apportés par l’écologie, la prise de conscience d’un espace fini et non extensible constitue sans doute la révolution la plus lourde de conséquences, la plus difficile à accepter.

On le voit, l’écologie bouleverse en profondeur nos sociétés. Elle s’en prend sans le dire aux convictions établies et jusqu’alors peu discutées. D’un côté, elle atteint les croyances et les mythes : la position de l’homme face à la nature n’est plus conforme aux Écritures (fig. 1). D’un autre côté, elle contredit le modèle économique du développement illimité, incompatible avec les propres limites de l’espace vital : la biosphère (fig. 2).
Figure 1. La troisième vision d’Hildegarde de Bingen : l’homme au sein de l’Univers (Sciviasxiie siècle).



L’ensemble du cosmos semble se déterminer en rapport avec l’homme.
Figure 2. La planète Terre vue depuis la station Mir.

Une perception éloignée de la biosphère, espace vital limité à une fine pellicule représentée ici par la couche nuageuse.
Photographie : Jean-Pierre Haigneré.
Ces deux atteintes aux certitudes, ancrées dans nos esprits depuis des décennies ou des siècles, suffisent à faire de l’écologie une science mal aimée, mal entendue, mal transmise car culpabilisante avant d’être éclairante. Mais elle a valeur de paradigme car elle modifie notre regard sur le monde et, partant, notre conception de la vie. En ce début de xxie siècle, on ne fait qu’appréhender avec réticence le véritable projet du futur en intégrant l’écologie par petits bouts, çà et là distribués en séries de mesures cautérisantes, alors que cette pensée révolutionnaire, je pèse mes mots, suffit à elle seule à construire un projet politique à part entière. Comment s’y prendre ?
Que fait le jardinier ?
De tout temps, le jardinier n’a cessé d’exercer les trois fonctions de son travail d’excellence :
·         l’organisation de l’espace,
·         la production,
·         l’entretien dans le temps.
Jusqu’au début du xxie siècle, le jardinier était l’architecte du jardin, le pourvoyeur de fleurs, de fruits, de légumes, celui qui taille, tond, ratisse, arrose et nourrit… Subitement le voici responsable du vivant, garant d’une diversité dont l’humanité entière dépend. À ce rôle nul n’est préparé. Le jardin d’aujourd’hui, a fortiori celui de demain, se doit d’intégrer cette pratique exploratrice – protéger la vie – faute de quoi il met le jardinier en danger.

Mais qui est le jardinier de ce jardin-là ?

C’est ici que s’opère le grand basculement, ce par quoi les passagers de la Terre, en accord ou non avec les théories du changement annoncé, cessent d’occuper le territoire, par une simple oblitération ou une brutale exploitation de celui-ci, pour en devenir les jardiniers.

Puisqu’il s’agit de la vie, le jardinier de ce jardin-là se transforme en un peuple. Qu’on le veuille ou non, le jardin renvoie à la planète. Si, dans sa configuration initiale, il n’a jamais cessé d’accueillir les espèces venues du monde entier – et par là de constituer un index planétaire – le voici désormais écologiquement lié à l’espace voisin, lequel se trouve à son tour lié à un autre, plus lointain et ainsi de suite, jusqu’à faire le tour de la Terre. Le jardin d’aujourd’hui ne saurait s’en tenir à l’enclos traditionnel, il oblige le voisinage au partage. Les insectes, les oiseaux, l’oxygène et l’eau n’ont pour autre contenant que la surface de la Terre et l’épaisseur de la biosphère, ils franchissent les barrières institutionnelles. Toute clôture à l’intérieur du jardin planétaire relève de l’illusion et s’apparente à une archaïque vision de la maîtrise du vivant.

Cependant, les limites du jardin planétaire existent bien réellement, elles se situent aux limites mêmes de la biosphère, du sommet de la troposphère aux premières épaisseurs de la lithosphère. La planète ainsi perçue répond bien aux définitions du jardin : nous voici dans un enclos commun. S’agit-il pour autant d’un paradis ?

À l’intérieur de ces limites, dans le cœur animé de la biosphère, là où se développent les micro-organismes, où s’agitent les animaux et les humains, il n’est question que de partage. Seulement cela. À titre d’exemple, nous partageons l’air chargé de l’oxygène produit par les océans et les forêts. Tout est partage. Partage obligatoire pour les raisons évidentes de finitude ; il s’accompagne d’un recyclage de toutes choses, lui aussi rendu obligatoire, au sein d’un système considéré comme unique et clos.

C’est pourquoi les processus de captation du bien commun organisés par les puissantes entreprises multinationales – le décompte et la marchandisation du vivant par exemple – agissent à l’encontre de l’équité dans la mécanique du partage de ce bien commun qu’est la nature. La totalité du modèle économique sur lequel reposent nos sociétés s’oppose frontalement au jardin planétaire, non seulement en déréglant les équilibres du partage équitable des biens communs, mais aussi en altérant les capacités biologiques du jardin lui-même, menaçant ainsi la vie sur Terre. Dans ce jardin-là, le jardinier a besoin d’urgence d’un assistant talentueux et rêveur : un nouvel économiste.
·         6 « Économiser signifie prendre soin » (Bernard Stiegler, Ce qui vaut la peine d’être vécu. De la pha (...)
Celui-ci n’envisage pas la mise en œuvre et l’évolution du jardin en se pliant aux lois du marché, qui exigent une toujours plus grande consommation de tout dans un univers prétendu ultralibéral car dérégulé, plié à la dictature de la spéculation. Il porte son attention sur ce qui installe et valorise le vivant sans assistance, en s’inspirant des capacités naturelles de celui-ci à s’autogérer. Autrement dit, il « économise », il fait son métier6 ! Il constate qu’un excès d’eau ou de nourriture conduit à la mort des espèces qu’il prétend protéger. Il apprécie l’arbre abandonnant son feuillage à l’arrivée des froids ou à la fin d’une trop grande sécheresse, ménageant ainsi ses dépenses d’énergie au point de s’endormir. Il s’étonne du long sommeil des semences, capables de vivre sans en avoir l’air durant des mois, des années, des siècles en l’attente des circonstances favorables pour germer et entamer le cycle des échanges d’énergie qui feront exister la plante. Il s’intéresse à l’ajustement des êtres à leur milieu et vérifie que toutes les espèces ne s’accommodent pas du même sol ou du même climat, mais il constate qu’en chaque lieu, quelle que soit la pauvreté des sols, des plantes et des animaux s’installent. Ce faisant, il établit deux grands principes économiques que les sociétés humaines semblent avoir oubliés :
·         le non-endettement,
·         la localisation des échanges.
Le non-endettement consiste à gérer les flux entrants et sortants – eau, sels minéraux, énergie solaire – de façon à ce qu’ils s’équilibrent sans créer de déficit, augmentant ou diminuant en fonction des offres et des nécessités, sans plus.

La localisation des échanges semble caractériser le monde végétal assigné à demeure tandis que le monde animal, en mouvement, pourrait s’en affranchir. En réalité, les plantes comme les animaux (migrateurs ou non) élisent un site à leur convenance en instaurant le meilleur système d’échange pour la moindre dépense possible. Tel est le biotope, milieu choisi par l’être en quête de conditions naturelles compatibles avec ses exigences de vie.

En s’avisant du « faire avec » dans le biotope concerné, l’assistant du jardinier, l’économiste rêveur – engage un projet de société où le jardin, forcément soumis à la vision planétaire, se déploie en réalité par une série d’échanges localisés dans un souci de la non-dépense. Comme on le voit, le principe bien diffusé dans la sphère altermondialiste d’une « vision globale / action locale », s’il ne s’inspire pas directement des fonctionnements de la nature, trouve dans celle-ci un modèle direct et complexe. Par les multiples biotopes et les multiples espèces encore en présence sur la planète (la biodiversité), il trouve là un modèle infiniment déclinable dont chaque résolution par ailleurs non transposable, correspond à un lieu, à un milieu et à un ensemble vivant particuliers.

Dans ces conditions, et seulement dans celles-ci, s’instaure le jardin représentatif de l’idée du « meilleur » en ce début de siècle : faire le plus possible « avec », le moins possible « contre » les énergies en place en un lieu déterminé.
Deux questions alors se posent :
·         Ainsi localisé dans un rapport d’échanges inféodés au biotope, le jardin prétendu libéré de son enclos d’origine viendrait-il à s’enclore à nouveau, instaurant ainsi des barrières d’échanges matériels ou des barrières idéologiques ?
·         Un tel jardin pourrait-il s’accommoder des formes connues et répertoriées par l’Histoire ? Quelle architecture, quelle esthétique, quel art pour l’idée du meilleur aujourd’hui ?

La première question pointe sur la réalité et la nécessité des échanges distants. Le biotope, en tant que milieu défini, ne se présente jamais comme un territoire aux frontières infranchissables. Les oiseaux le savent bien, les mammifères et les insectes aussi. Les plantes vagabondes également, n’hésitant pas à expérimenter un nouvel habitat dès lors que les conditions d’accueil à leur tempérament pionnier leur sont favorables : un petit labour, un accident de sol, un soulèvement de taupinière et voilà le sol nu prêt à recevoir les espèces venues d’ailleurs.

Certaines de ces espèces vont se plaire et s’installer durablement. Quelques-unes vont se développer exagérément et inquiéter le jardinier. Dans certains cas, elles seront montrées du doigt, décrétées indésirables, invasives, pestes végétales à éradiquer absolument. Dans la majorité des cas, elles seront tolérées, voire appréciées comme tout exotisme ou toute nouveauté capable de susciter la curiosité, l’étonnement.

Quoi qu’il en soit, la composition floristique et faunistique du biotope – on pourrait dire du jardin – évolue avec le temps. Elle donne naissance à ce que la science d’aujourd’hui, dans un élan de compréhension à l’égard de tout ce qui advient sans prévenir, appelle un écosystème émergent.

Un écosystème émergent n’est autre qu’un territoire de réajustement des énergies exogènes aux énergies endogènes, un lieu permanent dubrassage planétaire agissant comme une des mécaniques principales de l’évolution sur Terre (fig. 3).

Une espèce venue de loin, viable dans un biotope élu deviendra, avec le temps et avec ce que l’on appelle mystérieusement une réponse du milieu, une espèce écologiquement assimilée à ce milieu.
Figure 3

Le schéma des échanges proches et lointains montrés sur ce dessin correspond à une interprétation des échanges économiques souhaitables pour une société nouvelle. Il fait partie d’une série de dessins exposés à la Biennale d’art contemporain de Melle en 2009 sur le thème de « l’homme symbiotique ». Ce même schéma est applicable aux échanges d’énergie entre les biotopes naturels. Chaque biotope est destiné à évoluer sous la pression des influences naturelles externes comme chaque société humaine sous la pression des influences culturelles externes.
Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

Si chaque biotope occupant la surface du globe se voit soumis à un tel mécanisme, on comprend que la planète, en tant que jardin constitué de l’addition de tous ces biotopes, se voit soumise à un perpétuel réajustement.

Dans ces conditions, le jardinier (ou le paysagiste) ne saurait s’en tenir au projet dessiné du jardin (ou du paysage) et à sa mise en place en estimant celui-ci immuable. Maintenir dans le temps l’image initiale relève de l’illusion et ne semble destiné qu’à assurer le maître d’œuvre d’une soi-disant maîtrise de l’œuvre. Il faut ici se dégager radicalement du contrat absurde par lequel le paysagiste (ou le jardinier) se trouverait garant d’un paysage définitif, contrat abusivement copié sur celui des architectes et, malheureusement, toujours en vigueur. À la réception du chantier, l’architecte peut estimer que la maison est finie ; à la réception du chantier, le paysagiste sait que le jardin commence.

Il ne finit pas. Il n’est jamais fini mais il évolue comme tout système vivant au sein de l’espace fini. Le jardin est dans le jardinier. Il existe par le jardinage. Que devient sa forme dans le temps ?
C’est ici la deuxième question. En quoi l’écologie, subitement intégrée aux dimensions historiques du jardin, vient-elle perturber l’aspect formel, le réglage esthétique, l’excellence artistique ?

Le jardin écologique peut-il répondre aux exigences d’un enseignement dans le cadre d’une chaire de Création artistique au Collège de France si cette même création, constamment mise à mal, souffre de la confusion des formes sans cesse renouvelées ?

Qu’est-ce que l’évolution de la forme soumise aux dynamiques biologiques dans l’espace fini ?

Jusqu’au début du xxe siècle, avant l’avènement de l’écologie, on pouvait envisager l’évolution formelle de l’espace comme un développement spatial, une extension, un accroissement ainsi qu’on peut le voir à propos des villes. Accroissement tridimensionnel, gagnant les surfaces du territoire et les volumes de l’atmosphère, accroissement des activités et des modes de communication sous la pression de l’accroissement démographique (fig. 4).

À partir du milieu du xxe siècle, et bien que cela répugne aux désirs expansifs de l’humanité et aux règles irresponsables de son économie dominante, il n’est plus possible d’envisager l’évolution formelle de l’espace comme un simple déploiement, une simple prolifération des inventions de l’esprit, devenues les objets et les matières oblitérant durablement la peau de la Terre. En épuisant les surfaces du corps, le tatouage vient à bout de sa propre expression. Il ne reste plus qu’à effacer pour tout recommencer. Est-ce possible (fig. 5) ?

Figure 4. L’évolution des sociétés envisagée comme une expansion progressive des habitats au détriment de l’espace libre.
Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

Figure 5. L’évolution des sociétés envisagée comme une réécriture des principes de vie au sein d’un même espace (recyclage).
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Pour les sociétés soumises aux logiques du visible, la forme apparaît en pleine lecture sous l’aspect simplifié de la géométrie, l’espace mesurable. L’architecture – des bâtiments ou des jardins – exploite abondamment les vertus de la géométrie jusqu’à dresser une ordonnance du jeu des formes : accélération ou ralentissement des perspectives, nombre d’or, règles de construction. L’art, à ces conditions, revient au talent de l’agencement et se contente du réglage esthétique des matières et des lumières capables de les animer dans la géométrie voulue.
·         7 Henri Laborit, La Nouvelle Grille, Gallimard, coll. « Folio essais », 1985.
Le jardin, à cause de la préséance donnée au vivant, bouleverse ces lois. Pour un biologiste, nous dit Henri Laborit7, la forme n’est qu’une étape transitoire sur le chemin de l’évolution, c’est un signal, une information. Il s’agit d’abord d’un message. Tout message, formellement codé, reçu par un organisme vivant, est aussitôt interprété, complexifié et renvoyé dans l’environnement. La forme cesse d’être une fin en soi pour devenir un moyen de communication au service de la vie.
Nous, jardiniers, pouvons-nous abandonner la composition formelle de l’espace, si lisible, si spectaculaire, au profit d’un échange de messages dont, au demeurant, nous ne comprenons pas grand-chose ? Ceci, au nom de la vie ? Comment intervenir dans l’obscure et invisible communication physico-chimique des espèces qui nous entourent ? Que signifie précisément effacer pour tout recommencer dans un modèle de société où l’effacement demanderait autant d’énergie, sinon plus, que la création d’origine ?
Les avancées de la science nous amènent à considérer l’ensemble des espèces présentes sur Terre – la biodiversité – comme un appareil d’une étonnante complexité dont chaque élément se trouve en permanence connecté avec tous les autres. L’Internet biologique fonctionne depuis la nuit des temps. Où se trouve notre place dans cette gigantesque discussion ?
Si, au nom de la sauvegarde de la diversité, c’est-à-dire de la vie sur Terre, l’information biologique doit prendre le pas sur la forme en tant que préséance dans le projet de paysage ou celui de jardin, alors l’artiste doit changer d’outils pour faire émerger son œuvre et, avant cela, il doit changer de regard.
Considérer l’épaisseur du vivant, au sein d’une friche, comme un système ordonné où chaque être et chaque comportement répondent à une logique biologique pour s’inviter au débat – ne serait-ce que pour y faire sa place –, c’est renoncer à la violence de la mise en forme architecturale pour initier un dialogue où le jardinier, avant d’intervenir, fait appel au génie naturel.
Par génie naturel, il faut entendre le pouvoir des espèces animales et végétales à régler naturellement leurs rapports en vue de se développer au mieux dans la dynamique quotidienne de l’évolution. La nature, dans sa complexité, a mis au point un nombre considérable de signaux, d’avertissements, de déclencheurs de réactions en chaîne, de régulateurs de surpopulations, d’assistances et de prédations qui « jardinent » le territoire sans aucune intervention humaine. Cette débauche d’énergie s’opère en réalité dans une économie d’échange, au rythme d’une musique naturelle que chacun peut entendre : le cri d’un oiseau, la stridulation d’un orthoptère, le vent dans un feuillage portant l’information masquée d’un prédateur ou d’un ami, la distance entre les frondaisons laissant voir le ciel (fig. 6). Tout est message.
Figure 6. « Fissure de timidité ».

La lumière résulte d’une mise à distance des frondaisons d’arbres adultes appartenant à la même espèce (ici, Samanea saman en Australie, au nord de Cairns).Cette mise à distance correspond à des échanges entre les houppiers. On ignore la nature et les raisons de ces échanges.
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Tant d’énergie gratuite : le jardinier n’a qu’à se mettre à l’écoute pour en tirer parti, comprendre avant d’agir et ainsi limiter son intervention. Faire le plus possible avec, le moins possible contre.
Ainsi l’artiste du jardin à venir devra-t-il accepter la formidable collaboration de la nature comme co-signataire de son œuvre. Il ne saurait être l’auteur du tout, mais seulement d’un fragment de l’espace et, pour faire durer son œuvre, il doit s’accommoder du temps en infléchissant les directions prises par la nature sans pour autant les contredire.

Si l’on tentait de faire figurer la part d’intervention de l’artiste dans cette aventure du jardin, il faudrait la réduire à un trait, peut-être même à un point placé dans l’ensemble profus et vaste du territoire laissé à la nature (fig. 7 et 8).

Figure 7

La part de l’intervention de l’artiste (traits et points soutenus) permettant une scénographie particulière de l’espace envisagé ne signifie pas un abandon de ses prérogatives sur le milieu vivant (petits points) mais une limitation de son action formelle à ce qui rend lisible son message.
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Figure 8. Le chemin comme principe scénographique de « limite ».

Jardin de l’École normale supérieure de Lyon, site Descartes (Lettres et sciences humaines).
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Le jardin résulte toujours d’une action combinée de l’homme avec la nature, mais ici la dépense d’énergie contraire est portée à sa plus faible expression : elle doit se placer au juste endroit pour que l’ensemble dû au génie naturel devienne finalement un jardin.

Ici intervient l’excellence de l’artiste : il exerce son art au traitement des limites.

L’artiste du paysage heureux, capable d’entretenir et de développer la vie dans son jardin, ne s’interpose pas dans le rapport naturel des échanges, il le valorise par une scénographie appropriée. Un socle, une démarcation, un dénivelé, une limite – fût-elle épaisse comme une lisière de forêt – dont la forme s’accorde autant au sens du projet proposé qu’au respect de la vie.

Comment devient-on un artiste des limites ? N’est-ce pas réduire l’artiste à une tâche mineure que de l’assigner aux seules interventions de limites ?

Nous entrons ici dans le domaine élargi de l’immatière, le territoire de la connaissance. Il est en réalité bien plus difficile de traiter la limite avec justesse, en laissant s’exprimer le génie naturel dans sa meilleure expression, qu’en intervenant avec violence sur l’ensemble vivant pour ne faire apparaître que le geste final de l’architecture. Car cela suppose un savoir. L’intervention ponctuelle et marginale du jardinier des limites s’opère à partir d’une reconnaissance précise des espèces et des comportements en jeu : observer, déterminer et comprendre le vivant. Mais en quel lieu aujourd’hui fait-on ses classes pour observer, déterminer et comprendre le vivant ? Existe-t-il une école du jardin planétaire, une école du génie naturel, un système éducatif à disposition de tous où la compréhension du vivant – à commencer par l’alphabet : savoir nommer (ce qui a un nom existe, ce qui n’a pas de nom n’existe pas) – prime sur toute autre discipline ?
·         8 Yves Delange, Plaidoyer pour les sciences naturelles : dès l’enfance, faire aimer la nature et la v (...)
À de très rares exceptions près, ce système éducatif à la portée de tous n’existe pas en France. La botanique (l’alphabet de la flore), progressivement abandonnée, n’est enseignée que ponctuellement et partiellement dans les établissements spécialisés destinés à la formation agricole, horticole et paysagiste. Les disciplines fondamentales pour la compréhension des écosystèmes – l’entomologie, l’ornithologie par exemple – inexistantes dans l’enseignement officiel, reviennent aux amateurs et aux savants isolés, comme si la nature, trop compliquée, devait indéfiniment demeurer l’apanage des hyper-spécialistes ou des poètes8.
·         9 L’une des exceptions intéressantes, en matière de centres de formation appliquée à la nature et au(...)
Nous avons changé de règne, nous avons changé d’ère, l’Anthropocène d’office nous assimile à la nature. Si nous n’acceptons pas cette assimilation par un effort d’humilité, nous continuerons à nous en croire distants pour la dominer, c’est-à-dire, finalement, la détruire. Nous sachant au terme de cette chaîne de dépendance qui nous lie à elle, il ne nous est plus possible d’agir autrement que dans un rapport de connivence et de partage9.

Nous savons le paysage intimement lié à notre lecture subjective et culturelle, l’environnement dédié à un décompte objectif des composantes du vivant, le jardin territoire du rêve, accueil du meilleur et projet politique.

Nous observons la puissance du constat écologique et la capacité de celui-ci à reformuler les idées du « meilleur » au sein de ce qui devient alors le jardin planétaire. Nous vivons sous l’emprise de ce choc sans avoir pris les mesures de son amortissement et de son intégration à la vie courante, mais nous en avons la conscience.
Nous assistons à l’effondrement d’un système économique basé sur l’exploitation fictive d’inépuisables ressources. Dans le même temps, nous assistons aux expérimentations multiples et localisées des économistes rêveurs et des jardiniers humanistes engageant les modèles du futur. Nous constatons la part à la fois infime et décisive de l’artiste sur ces modèles en ce qu’il modifie le tout par une intervention sur les limites et non sur la totalité du système.
Nous avons compris que le système, fût-il émergent, issu du brassage planétaire et en constante évolution, n’est pas réductible à l’évaluation comptable des agences de notation – gadget à l’usage de peuples infantiles et des joueurs de poker. Il s’agit d’un ensemble complexe impliquant la profondeur de l’âme en même temps que les caprices du vent et la transformation d’une goutte de pluie en un flocon de neige, en un lieu unique et non renouvelable : la planète.
Pour avancer et construire le projet de demain – le jardin de demain –, il nous reste au moins deux champs d’investigation posant des questions auxquelles nous devons en urgence apporter des réponses.
La première concerne l’absolue nécessité du recyclage en territoire fini. Le constat de finitude écologique s’oppose en apparence à la poésie du monde en ce qu’il nous assigne à la matière sans laisser l’esprit dans cet état de grâce que l’on concède volontiers à l’enfance : l’insouciance.
On nous demande de reconnaître, de trier, d’organiser, de redistribuer l’ensemble des déchets produits par nos sociétés consuméristes : l’énergie est transformée, difficilement utilisable et finalement jetable. Doit-on mettre la poussière sous le tapis, les déchets nucléaires au fond des fosses marines et fermer les yeux, ou chercher la solution du bon recyclage ? Comment replacer dans l’environnement (donc dans le paysage et dans le jardin) l’énergie qu’on lui prend ? Peut-on opérer ce replacement sans disqualifier le milieu concerné ? Comment remettre dans la rivière de l’eau non polluée après usage ?
Que serait la ville recyclable ? Comment concevoir des objets de consommation en vue de leur recyclage obligé ? Qu’est-ce qu’une architecture recyclable, sinon éphémère et fragile, capable de se décomposer pour se reconstituer ? Quelles sociétés accepteront de voir disparaître leurs constructions pour des questions de finitude écologique et spatiale ? Si les traces disparaissent, la mémoire s’efface en tant que marqueur de paysage. La voici sélective et ciblée, réduite à la tradition orale, aux textes, à l’immatière et à quelques monuments pour lesquels on aura souhaité, sans trop y croire, une certaine éternité. Dans notre jardin planétaire, sommes-nous prêts à envisager toute chose comme à la fois éphémère et transformable ? Notre maison peut-elle devenir une automobile, notre automobile un ordinateur et celui-ci un jardin ?
Au jardin nous savons que les feuilles en décomposition sont la nourriture des fraises et des poireaux, la litière temporaire des racines du chêne. Le recyclage naturel extrêmement précis, mis au point depuis des millénaires, entretient la vitalité des sols et de l’air, l’expression de la diversité (fig. 9). Toute intrusion maladroite et pérenne plaçant dans le jardin un objet inerte menace le recyclage naturel et vise à la stérilisation de l’espace impacté, à moins de transformer les parois de cet objet en un sol nouveau.La ville recyclable à la mémoire ciblée serait alors un compromis d’architecture éphémère et d’architecture durable transformée en jardin. Puisque nous sommes dans l’obligation du recyclage, le projet urbain de demain pourrait bien s’inspirer de cette partition entre le recyclable industriel et le recyclable naturel. L’un dépense l’énergie que l’autre produit.
Figure 9. L’arbre, symbole du recyclage permanent.

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Il s’agit d’un chantier considérable. Sans doute la plus vaste entreprise humaine depuis l’histoire de la sédentarisation des peuples qui tous furent nomades avant d’inscrire au sol leurs premières fondations et, partant, leur premier jardin. Il n’est plus question désormais de faire durer la ville, le paysage ou la planète. Il est question de réinventer l’espace de vie en y recyclant la production d’apparence inutile venue de toutes les sources de consommations – ce qu’on appelle déchets – pour les transformer en matériaux de construction et d’usage courant. En choisissant comme slogan O lixo que no e lixo (« un déchet qui n’est pas un déchet »), la ville de Curitiba au Brésil anticipe les urgences du futur et propose un des modèles possibles de gouvernance urbaine.
Le risque majeur d’une telle évolution est la probable récupération par le marché, une sorte de « grenellisation » planétaire obligeant les sociétés à produire toujours plus de déchets pour reconstruire toujours plus et spéculer. Mais il existe un court-circuit à cette folie : produire toujoursmoins de déchets, tel est le pouvoir du citoyen, celui du boycott et du libre choix qui passe par le renoncement, non à ce qui nous semble superflu, ce luxe nous est vital, mais à ce qui nous semble inutile, non ajusté à nous-même. On ne peut faire boire à une plante plus d’eau qu’elle ne peut en absorber au risque de la noyer. On le sait, le chantier est immense. Mais, d’une façon secrète et parallèle, il est engagé. Sans le dire et par force, sous la pression des effondrements du système, une multitude d’initiatives dispersées mais actives construit les bases d’un jardin éloigné des économies marchandes. Le voici vibrant, atomisé, constitué d’identités associées à chaque biotope où les productions, distributions et recyclages s’opèrent localement.
L’artiste du jardin atomisé est donc celui qui voyage d’un écosystème à l’autre et qui saura, par comparaison et grâce au voyage – c’est-à-dire grâce à une vision globale – proposer la meilleure solution locale.
Mais à quelle vitesse engager le voyage ? Quel délai pour le recyclage ? Faut-il courir ou s’arrêter ?
Voici le deuxième champ d’investigation des chantiers du futur : le temps, son usage, sa prise et son abandon.
Pour des raisons liées aux saisons, au rythme des flux dans l’organisme des plantes, à l’incidence énergétique du soleil, à l’abondance ou à la rareté de l’eau, les végétaux prennent leur temps. Ils se décident au développement lorsque les circonstances nécessaires au développement sont réunies. Accélérer le processus les amènerait à croître dans des conditions menaçant leur propre vie. Alors ils attendent le moment venu. Le bon moment. Ni crédit ni dette de temps. À aucun moment le temps ne représente un placement, un objet de spéculation, il est juste ou alors il n’est pas.
L’exemple le plus puissant, et pourtant le moins regardé sous cet angle, est la graine : la semence en sommeil. La graine retient le temps. Nous ne savons pas jusqu’à quel point, elle non plus. Elle attend le moment venu. Elle retient et elle efface le temps. Entre l’instant de sa naissance, à partir du fruit, et l’instant de sa croissance, il ne se passe rien. Rien pendant des semaines, des mois, des années. Parfois des siècles.
Ce rien efface le temps mais il contient la vie. Sans doute ne sommes-nous pas suffisamment avisés de l’extrême performance de cette vie en dormance. Comment résister aux conditions du désert pendant des décennies et subitement fleurir à l’occasion d’une pluie, comment patienter au fond d’un sol et attendre un retournement (le travail d’une taupe ?) pour se déployer, comment s’enkyster au point de supporter le gel, comment réduire sa respiration, son évaporation, ses échanges avec l’extérieur ? D’une telle apnée biologique, aucun autre organisme n’est capable. C’est l’exemple le plus spectaculaire d’une parfaite et totale économie. Et pourtant, une graine, c’est petit.
À partir des semences, nous sommes assurés de créer des paysages adaptés car elles savent ce que nous ne savons pas : le choix du bon moment, celui du juste temps. À partir des semences, les jardiniers accomplissent la plus digne des performances humaines : produire la nourriture. Ils tiennent entre leurs mains à la fois la vie et le temps qu’ils reconduisent ainsi de saison en saison. C’est pourquoi toute manipulation sur les semences, toute entreprise de captation d’une espèce par le brevetage – la stérilisation des espèces en première génération ou l’obtention de variétés stériles conduisant à une obligation de rachat – ne s’apparente pas à un crime, c’est un crime.
Le jardinier de demain n’est pas un justicier, ce n’est pas à lui de rétablir les règles de l’équité, mais il peut compter sur les lois du génie naturel, les comprendre et les favoriser. Il peut redistribuer les graines de sa propre production dans un rapport de gratuité où il est question à la fois d’échanger le temps et la puissance inventive du génie naturel. Nous ne savons pas exactement ce que donnera la graine. Nous savons qu’elle nous surprendra. Le jardinier ne se heurte pas au temps, il l’accompagne.
J’achève ce parcours au jardin en insistant sur l’objet-temps. Aucune autre civilisation que la nôtre ne l’a si violemment malmené. Les névroses conjuguées de la performance et de la compétitivité – faisant de l’autre un ennemi et non un voisin, encore moins un ami – ont transformé le parcours en exploit, le voyage en déplacement et l’évaluation de toute chose en gain de temps par la vitesse.
Que faisons-nous du temps ainsi gagné ? N’est-il pas immédiatement réinvesti dans une course au temps ? Celui qui, par hasard, ne répond pas aux injonctions du système se voit culpabilisé, c’est un paresseux, un oisif, il n’a rien à faire dans la société de la rentabilité du temps, il sera pénalisé.
Au jardin, le système du temps gagné ou perdu s’effondre de lui-même, il n’a simplement aucune raison d’être. La thérapie naturelle du jardinage vient du temps suspendu, celui que l’on ne maîtrise pas mais qui, d’une certaine façon, nous tient debout. Lorsqu’on met une graine en terre, c’est un devenir qui s’annonce, le passé s’efface, la nostalgie au jardin n’a pas cours. Le jardin est un lieu privilégié du futur, un territoire mental d’espérance.
·         10 « Le secret du rêve », document fourni par Adrienne Cazeilles, mémoire des Aspres et du Roussillon,(...)
Nous pourrions nous arrêter sur ces mots, ils ouvrent une porte sur un futur heureux. Mais avant de conclure je propose un détour. En cessant d’exercer notre regard à partir de l’Occident, nous allons à la rencontre d’autres « mondes », d’autres pensées, d’autres imaginaires, d’autres créations, d’autres cosmologies. Le jardin planétaire nous en assure : la façon dont on imagine le monde a une répercussion immédiate sur la façon dont on s’en occupe. Pour certaines civilisations, le mot jardin ne signifie rien. Je m’étais étonné de l’absence de jardin dans les territoires aborigènes d’Australie et mes questions sur ce sujet restaient sans réponses ; jusqu’au jour où l’on porta à ma connaissance le message fondateur de cette civilisation sous la forme d’un long poème dédié à la création10. L’Esprit en rêvant s’adresse aux êtres de vie et s’assure de leur capacité au rêve mais, en dépit de cette capacité, aucun ne maîtrise le « secret du rêve ». À l’exception de l’homme, dernier être consulté dans la liste illustrant le vivant. Après ce long travail, l’Esprit fatigué s’est couché dans la terre où désormais il repose. Qui oserait le déranger, retourner le sol, blesser la Terre ? Que signifie un jardin dans ces conditions ?
Figure 10. Fourmis vertes (Cairns, Queensland, Australie).

Référence au film de Werner Herzog Le pays où rêvent les fourmis vertes (1984) qui montre comment une tribu aborigène affronte les bulldozers venus ouvrir une carrière dans un pays où « rêvent les fourmis vertes », comment ils se heurtent à cette violence jusqu’à en mourir.
Le mythe aborigène australien (fig. 10) s’accorde à une histoire humaine où le nomadisme transformait le territoire en pourvoyeur du bien commun : un jardin sans jardinier. Tout le contraire de ce que nous venons de dire. Cette heure passée en « leçon » pourrait se doubler d’une « contre-leçon » où le jardin et le paysage tels que nos civilisations les ont imaginés et développés seraient mis en péril par une haute vision du génie naturelun autre monde en effetIl se pourrait que cela nous aide à inventer un modèle nouveau, adapté à la finitude de l’espace et à la fragilité de la vie sur cette planète. Pour cela, nous aurions besoin d’un peu de temps. Non ce temps de l’urgence et de la compétition, mais celui de la création, permanent territoire de la subversion, tout entier contenu dans l’art.
Figure 11. Le gazé (Aporia crataegi) sur une scabieuse (Scabiosasuccisa).

Une situation d’immersion ; regarder à hauteur d’herbe.
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Alors, j’invite les oisifs, les prétendus inutiles, les lents, les accidentés de la vitesse à venir construire le projet de demain. Nous avons besoin de leur résistance à l’immédiate réponse, de leur capacité à s’étonner, à prendre le temps et à le laisser suivre son cours. Ensemble, nous pourrons nous attarder à la simplicité d’une fleur (fig. 11), son éclat dans la lumière, cette annonce d’un fruit, une aventure promise, une graine, une invention forcément. Nous pourrons en faire le dessin et peut-être lui donner un paysage. Nous pourrons même lui donner un nom.
Alors elle existera.

ANNEXES

La vidéo de la leçon inaugurale est disponible sur le site du Collège de France :http://www.college-de-france.fr/site/gilles-clement/inaugural-lecture-2011-12-01-18h00.htm

NOTES

1 La phusis. « Nature » mais surtout base de la réflexion philosophique des Grecs d’Asie mineure. La phusis s’oppose au nomos, la loi. Le terme s’applique aussi au processus de croissance, à l’évolution.
2 Par les accords de Nagoya, conclus en octobre 2010 au Japon, plus de 190 pays, à l’exception des États-Unis, adoptent pour 2020 un plan stratégique visant à freiner l’érosion de la diversité sur la planète. Le point critique porte sur le protocole (en négociation depuis les huit années précédant les accords) organisant le partage des bénéfices tirés par les industries de la pharmacie et de la cosmétique à partir des ressources génétiques des « pays du Sud ».
3 Le mot jardin vient du germanique garten qui signifie « enclos ».Le motparadis, du latin paradisus, du grec paradeisos, lui-même du persan pairidaeza, « enclos », de pairi, « autour » (qui donnera peri en grec) et daeza, « rampant ».
4 Le concept d’écologie, proposé par le biologiste libre-penseur allemand Ernst Haeckel, apparaît officiellement en 1866.
5 Claude Lorius et Laurent Carpentier, Voyage dans l’Anthropocène, Actes Sud, 2011.
6 « Économiser signifie prendre soin » (Bernard Stiegler, Ce qui vaut la peine d’être vécu. De la pharmacologie, Flammarion, 2010, chap. 5).
7 Henri Laborit, La Nouvelle Grille, Gallimard, coll. « Folio essais », 1985.
8 Yves Delange, Plaidoyer pour les sciences naturelles : dès l’enfance, faire aimer la nature et la vie, L’Harmattan, 2009.
9 L’une des exceptions intéressantes, en matière de centres de formation appliquée à la nature et au paysage, est la récente initiative de la communauté d’agglomération des Lacs de l’Essonne, qui a inauguré le 15 avril 2011 une structure pédagogique initialement intitulée « École de la reconnaissance de la diversité en ville », devenue « École du jardin planétaire » à l’initiative de la ville de Viry-Châtillon.
10 « Le secret du rêve », document fourni par Adrienne Cazeilles, mémoire des Aspres et du Roussillon, auteure de Quand on avait tant de racines (2003) etVoyage autour de mon jardin (2011) aux éditions Trabucaire.

LIST OF ILLUSTRATIONS

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Title
Figure 1. La troisième vision d’Hildegarde de Bingen : l’homme au sein de l’Univers (Scivias, xiie siècle).

Caption
L’ensemble du cosmos semble se déterminer en rapport avec l’homme.

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Title
Figure 2. La planète Terre vue depuis la station Mir.

Caption
Une perception éloignée de la biosphère, espace vital limité à une fine pellicule représentée ici par la couche nuageuse.

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Photographie : Jean-Pierre Haigneré.

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Title
Figure 3

Caption
Le schéma des échanges proches et lointains montrés sur ce dessin correspond à une interprétation des échanges économiques souhaitables pour une société nouvelle. Il fait partie d’une série de dessins exposés à la Biennale d’art contemporain de Melle en 2009 sur le thème de « l’homme symbiotique ». Ce même schéma est applicable aux échanges d’énergie entre les biotopes naturels. Chaque biotope est destiné à évoluer sous la pression des influences naturelles externes comme chaque société humaine sous la pression des influences culturelles externes.

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Figure 4. L’évolution des sociétés envisagée comme une expansion progressive des habitats au détriment de l’espace libre.

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Figure 5. L’évolution des sociétés envisagée comme une réécriture des principes de vie au sein d’un même espace (recyclage).

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Title
Figure 6. « Fissure de timidité ».

Caption
La lumière résulte d’une mise à distance des frondaisons d’arbres adultes appartenant à la même espèce (ici, Samanea saman en Australie, au nord de Cairns).Cette mise à distance correspond à des échanges entre les houppiers. On ignore la nature et les raisons de ces échanges.

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Figure 7

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La part de l’intervention de l’artiste (traits et points soutenus) permettant une scénographie particulière de l’espace envisagé ne signifie pas un abandon de ses prérogatives sur le milieu vivant (petits points) mais une limitation de son action formelle à ce qui rend lisible son message.

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Title
Figure 8. Le chemin comme principe scénographique de « limite ».

Caption
Jardin de l’École normale supérieure de Lyon, site Descartes (Lettres et sciences humaines).

Credits
Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

URL

File
image/jpeg, 668k

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Title
Figure 9. L’arbre, symbole du recyclage permanent.

Credits
Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

URL

File
image/png, 971k

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Title
Figure 10. Fourmis vertes (Cairns, Queensland, Australie).

Caption
Référence au film de Werner Herzog Le pays où rêvent les fourmis vertes (1984) qui montre comment une tribu aborigène affronte les bulldozers venus ouvrir une carrière dans un pays où « rêvent les fourmis vertes », comment ils se heurtent à cette violence jusqu’à en mourir.

URL

File
image/jpeg, 260k

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Title
Figure 11. Le gazé (Aporia crataegi) sur une scabieuse (Scabiosasuccisa).

Caption
Une situation d’immersion ; regarder à hauteur d’herbe.

Credits
Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

URL

File
image/jpeg, 682k

AUTHOR
Gilles Clément
Professeur invité sur la chaire annuelle de Création artistique pour l’année académique 2011-2012
© Collège de France, 2012


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